Drame de Dschang : Des populations volontaires et animées d’un esprit d’organisation digne de respect.

  • Ajouter le 23/09/17
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  • Rédigé Par MenouActu    


Un immeuble à niveaux, bâti en marge de la règlementation, s’est effondré au cœur de la cité de Dschang. Le chantier n’avait aucun de ses papiers en règles.


Il est presque 15 heures jeudi le 21 septembre 2017. SM Donfack Beaudelaire, maire de la commune de Dschang, vient de commencer une séance de travail avec les conducteurs de taxis automobiles. L’objet de la rencontre porte sur la recherche concertée des résolutions, à prendre librement par les parties, pour tenter de ramener de l’ordre dans cet important secteur de la vie économique de la cité.

En effet, ces professionnels du transport urbain se plaignent sans cesse des acteurs du maillon transport inter urbain, qui sortiraient de leurs sites de chargement pour faire du ramassage de passagers. Les échanges de paroles sont houleux dès l’entame des travaux. Pourtant, ils n’ont duré qu’une demi-heure à peine, quand le garde de corps du maire a fait irruption dans la salle.

Penché à l’oreille du premier magistrat municipal, il a rapidement chuchoté quelques mots. Aussitôt, Sa Majesté Fo’o Ndenkop a interrompu le cours des débats, pour annoncer la terrible nouvelle : « (…) Un immeuble vient de s’effondrer au niveau du rond-point de la quincaillerie Fokou. On me dit qu’il y aurait des morts… »

Tel dans un branle-bas d’avant combat, les participants ont vidé les bouteilles de bière qu’ils sirotaient jusqu’à cet instant, à un rythme de dilettante. Les tartines de sardines, apprêtées plutôt pour la fin de la rencontre, sont aussi distribuées à la hâte.

Les travaux du chantier sont engagés sans permis de construire ni certificat d’urbanisme.

Une fois cette précaution gastronomique prise, toute l’assistance s’est déportée sur le lieu de la catastrophe. Quand vous partez de la mairie de Dschang pour la ville de Santchou, marquez un arrêt au lieu-dit Rondo (rond-point quincaillerie Fokou/ex-cinéma La Menoua).

Devant vous sur le terre plein circulaire et central, un monument a été érigé à la gloire de feu le ministre résident, SM Djoumessi Mathias. A votre gauche, une rue cabossée descend vers le quartier Mingmetoh. Une centaine de mètres en contrebas sur cette descente, à gauche et juste après la première intersection de rues, se trouve l’immeuble qui s’est effondré sous son propre poids.

La scène s’est passé sur les coups de 15 heures 30, peu après la fin de la pluie qui venait d’arroser la cité. Sans doute, grâce à cette pluie qui n’a pas mis long à cesser, le bilan de pertes en vies humaines est d’un mort. C’est très lourd certes, mais pas autant qu’on le craignait au départ.

Après recoupage de diverses sources d’informations, l’on peut assez aisément retracer le film des événements, en employant des verbes de deux modes différents. D’abord au mode indicatif, dans un premier temps ! Le promoteur de cet immeuble, le fils du propriétaire de la "Boulangerie de la Menoua", a déposé une demande de permis de bâtir dont le plan comprenait : un sous-sol, le rez-de-chaussée, et un niveau au-dessus.

Mais au moment de passer à la réalisation sur le terrain, le plan initial n’a plus été respecté : empiètement sur l’emprise de la route, ajout d’un porte-à-faux non prévu (deux mètres).

En réaction, la commission compétente refuse de lui délivrer son certificat d’urbanisme. Soulignons que l’obtention de cette pièce conditionne la délivrance du permis de construire, par le maire. Plutôt que de s’arrêter à ce stade, le promoteur a demandé à son entrepreneur d’ajouter un niveau supplémentaire. L’entrepreneur a alors déclaré n’avoir pas dimensionné la fondation à cette nouvelle demande. Pour cela, il sera renvoyé.

Des dalles coulées avec du fer de six et des bétons tournés presque sans gravier.

Le deuxième entrepreneur viendra faire la volonté du propriétaire. Mais il sera lui aussi renvoyé, car il s’est opposé à l’exigence du maître des lieux, d’ajouter un niveau de plus. C’est le troisième entrepreneur, âgé d’une trentaine d’années, qui mettra l’immeuble à son niveau final : sous-sol, rez-de-chaussée, trois étages.

Notons que le chantier a été lancé il y a moins d’un an. Et à plusieurs reprises, les services techniques sont descendus sur le site, où ils ont ordonné l’arrêt des travaux, avec confiscation des matériels de travail et procès-verbaux de saisie dressés.

Le constat physique qu’a pu faire le profane sur les gravats du bâtiment, a à postériori donné raison aux services techniques. Des dalles avaient été étayées avec du fer de six centimètres de diamètre, tandis que des bétons avaient été coulés presque sans gravier.

Plus brièvement, continuons au mode conditionnel ! Selon des sources, l’entrepreneur aurait eu l’intention de passer à l’élévation d’un quatrième étage. Et comme les murs auraient présenté des signes de fissures qui auraient affecté des poutres et des poteaux, il aurait transformé la superficie apprêtée pour la suite de l’élévation, au centre du bâtiment, en plate-forme pleine pour accueillir les réserves d’eau.

Mais au lieu d’alerter les autorités compétentes, les responsables du chantier auraient entrepris de renforcer les assises du bâtiment. Ainsi, ils ont fait ce que les ingénieurs appellent « Reprise en sous œuvre ». Donchi Johnny, délégué département de l’Habitat et du développement urbain de la Menoua, ajoute qu’il : « (…) s’agit d’une haute technologie du génie civil, qui ne s’exécute que par des spécialistes équipés de matériels appropriés… »

Le jour du drame donc, sept ouvriers étaient affairés dans le rez-de-chaussée de l’immeuble. Tandis que les uns s’occupaient à tisser le fer, les autres tournaient le béton. D’autres encore creusaient des fouilles. Peu avant le début de la pluie, trois des sept employés sont sortis pour se refaire l’estomac. A la fin de la pluie, les nombreux élèves et motos-taximen qui avaient trouvé refuge ici en ont profité pour continuer leur chemin.

Des autorités de la région, du département et de l’arrondissement ont passé la nuit sur les lieux, pour s’assurer de la continuité du travail.

Et quand est survenu le drame, il y avait encore quatre personnes dans l’immeuble, complètement fragilisé par les fouilles entreprises au pied de la fondation. Au moment fatidique, le bruit de l’effondrement, léger dans un premier temps, a alerté ceux qui travaillaient dans le rez-de-chaussée. Ils se sont alors échappés en informant le quatrième employé, toujours occupé à creuser sous les fondations de la maison, au sous sol.

Malgré la rapidité de ses jambes, il n’a pas eu assez de temps pour échapper des griffes de la mort, qui l’a happé au sommet de l’escalier qu’il venait de gravir. Ce jeune homme est natif du groupement Foréké-Dschang. De source sûr, il a pris femme il n’y a qu’un mois. Et il a été recruté dans le chantier, le matin du jour même de son décès.

Aussitôt la triste nouvelle connue, les populations ont convergé vers les lieux. Sans attendre l’arrivée des autorités de la ville, elles ont commencé à faire ce qu’elles ont pu. Et les résultats ont été palpables. C’est ainsi que la charpente de la maison a été entièrement démontée, des dalles cassées ou percées pour s’infiltrer à l’intérieur des décombres…

L’arrivée des autorités sur les lieux a permis d’affiner l’organisation du travail, avec : des agents de l’électricien ENEO qui ont sécurisé et isolé le périmètre ; la police et la gendarmerie qui ont maintenu l’ordre et la foule de spectateurs ; des petits matériels de travail qui ont été achetés, puis mis à la disposition des volontaires en action sur le site ; des engins de chantier qui ont été réquisitionnés et déployés sur les lieux…

Le gouverneur de la région, le préfet du département, le sous-préfet de l’arrondissement, le maire de la commune, les commandants locaux de compagnie de gendarmerie et du peloton mobile, le commissaire central et tous les sectoriels impliqués dans la gestion de la crise ont passé la nuit surplace. Le périmètre des travaux avait dans la foulée été équipé en éclairage public, par ENEO.

C’est à 22 heures 05 que l’unique victime a été sortie des décombres, dans un état très amoché mais encore vivant. Il a rendu l’âme à l’hôpital, au petit matin. Comme des rumeurs des plus folles ont circulé tout cet après-midi, sur la présence de dix survivants abrités dans une pièce, les fouilles ont continué toute la nuit.

Sur les coups de neuf heures du lendemain matin, vendredi 22 septembre, un des rescapés de la catastrophe est identifié. Choqué par ce qu’il a vécu, il s’est calfeutré chez eux et a refusé de s’épancher sur cette scène. Il n’a d’ailleurs voulu rencontrer personne. Par l’entremise du papa de ce rescapé, monsieur le maire est arrivé à le mettre en confiance.

Et usant alors de diplomatie, il a fini par apprendre des détails précieux, sur la détermination du nombre de personnes présentes dans l’immeuble, à l’instant de sa destruction. Comprenant qu’il n’y a eu que l’unique victime découverte dans la nuit, les recherches ont cessé.

L’excavatrice réquisitionnée de la carrière chinoise de gravier, à Bamougou, pouvait regagner sa base. Et jusqu’à la tombée de la nuit, seuls quelques populations ont continué à contempler le triste spectacle. Des engins localement sollicités ont eux-aussi continué à libérer la route, encore encombrée de débris sortis des ruines.

Roch Kenfack

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