Installés sur les mines de bauxite à Fongo Tongo.

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  • Rédigé Par MenouActu    


  • Mis a jour 25/10/17 à 7:20

La vie suit son cours normal dans ce groupement de la Menoua, où les populations attendent dans l’insouciance l’exploitation de la bauxite découverte avant les indépendances. Elles pensent en obtenir en dehors du travail, des infrastructures de développem


Mardi, 5 avril 2011. Il est 10h à Ganteu, un quartier du groupement Fongo Tongo, situé à 3km environ du centre de cet arrondissement qui tarde à vêtir des habits urbains, perché dans la montagne, à 15km de route de Dschang. Un homme d’environ 50 ans s’échine à faire des billons aux alentours de son champ d’eucalyptus. Il ne prête pas attention aux mouvements de ses trois enfants qui jouent à l’entour. Pourtant, à seulement 10m de là, se trouve un puits béant. Un trou de 11m de profondeur, d’un diamètre pas très grand, reconnaît-il, creusé par les « ingénieurs », pour « tester la bauxite ». « Les enfants connaissent ce trou. Ils en parlaient avant notre arrivée au champ », rassure-t-il. Ils sont à peu près ainsi, les enfants de Ganteu. Ils grandissent sous la prospection minière. Et connaissent dès le bas âge ce qu’il ne faut pas faire. A 60 ans bientôt, Pierre Djoumessi, dit Foganteu, le chef de 3ème degré de ce secteur, se rappelle de ses expériences d’enfant. « C’est depuis 1958 qu’on fait l’expertise. A 10 ans, j’ai connu le camp dans lequel on pilait les extraits du puits, qu’on mettait dans de petits sacs. Les Blancs sont partis et ne sont plus revenus. Ce n’est que l’année surpassée qu’ils sont revenus ». Sur cette colline, au moins une demi-dizaine de puits a été forée. Sans compter les anciens et les tranchées.
Pour les populations locales, agricoles pour la plupart, ce sont des pièges. Certains de ces trous se trouvent au beau milieu du champ cultivé. A 2km de là, un autre puits, simplement recouvert de quatre lattes, est présenté comme contenant du gaz. « On a fait des prélèvements jusqu’à 8m. Après, on a commencé à sentir le gaz», assure notre guide. N’empêche, le trou n’a pas été refermé. Heureusement, a-t-on appris, « jamais personne ne s’est retrouvé au fond d’un puits ». Par contre, les bœufs et les chèvres qu’on élève dans le coin ont parfois disparu. « Cette fois-ci, les explorateurs ont fait preuve de beaucoup de négligence. Avant, on entourait les trous avec des fils barbelés. Maintenant ils mettent juste des planches », se plaint le chef de quartier. « Nos enfants savent qu’ils vivent avec le danger », se félicite-t-il. En effet, dans ce village qui a vu défiler pendant de longs mois des ingénieurs qui ont recruté des enfants du terroir pour faire les sondages, la vie suit un cours plutôt normal. « Ce sont nos terres. Vous voulez qu’on aille où », s’exclament plus d’une vingtaine des personnes interrogées. Au lieudit « chez Séraphine », une concession a été bâtie à quelques décimètres des bananiers qui poussent crânement dans la tranchée qui a donné des résultats concluants. Personne ne semble se soucier des lendemains, du jour où, à cause de l’exploitation, il faudra partir. Ils semblent plutôt bien renseignés. « On ne va pas délocaliser tout le monde. De toute façon, on va dédommager ceux qui seront déguerpis pour qu’ils puissent s’installer ailleurs », assure Jean Ferdinand Ngoufack, un jeune qui a travaillé récemment avec les prospecteurs de Camus resources S.A., la dernière entreprise à avoir séjourné sur ce terrain. Et les champs alors ? Que fera-t-on des lieux sacrés ? « La bauxite se trouve dans la montagne, là où il y a des roches. Aucune menace ne pèse sur nos champs. S’agissant des traditions, des rites permettent de déplacer les lieux sacrés », ajoute Foganteu.
Scrupules
Quid des nombreuses populations installées avec quiétude sur les mines ? Les techniciens de la délégation départementale des mines, de l’industrie et du développement technologique (Minmidt) expliquent que l’exploitation de la bauxite crée des désagréments. Notamment, la production d’une grande quantité de poussière, la pollution des eaux du fait du lavage de la bauxite et la toxicité de certains éléments chimiques. Mais « cela ne devra pas entraîner de grands flux migratoires ». Dans une région où les hommes sont attachés à la terre (les reliques des ancêtres font l’objet d’un culte dans des sanctuaires sous forme de maisons sacrées, chacun est enterré dans sa concession, etc.), une cellule de veille a été mise sur pied dans la commune de Fongo Tongo. Dirigée par le premier adjoint au maire, l’ancien journaliste Jean Paul Nanfack, elle est chargée d’informer et de sensibiliser les populations sur les recherches en cours sur le terrain, l’assistance des missions techniques qui sont déployées et les relations avec les médias. On lui doit une connaissance quasi-parfaite de la situation géoéconomique du village. « Nous ne voulons pas donner la phobie aux populations. Certaines ont investi et il ne faut pas les décourager. On verra par où commencer. Le moment venu, on fera des études sur les possibilités de déguerpissement et de recasement. Une fois le puits fermé, on pourrait réinstaller les populations », affirme le délégué départemental du Minmidt, Fernand Nkamga Siewe. Lors de sa tournée de prise de contact, en 2009, le sous préfet local, Emmanuel Menzepo, avait été interpellé à plusieurs reprises sur l’opportunité de continuer à investir dans la localité.
Mais se demande-t-on, y-a-t-il vraiment lieu de s’inquiéter maintenant ? Paul Dongfac Atabong, un enseignant originaire du coin, croit que l’exploitation n’aura pas lieu avant longtemps. Du moins, tant qu’il sera vivant. « Nous attendons l’exploitation depuis mais rien ne se précise. C’est un peu comme la route Melong – Dschang. On fait des études …». Non loin des forages effectués récemment, des villas futuristes sortent de terre. Dans cette commune de 30.000 habitants, de gros espoirs sont pourtant fondés sur l’exploitation future des mines de bauxite dont beaucoup d’enfants qui en ont entendu parler à l’école primaire ont aujourd’hui plus de 50 ans. Dans la représentation populaire, le forage de nombreux puits et des tranchées dans le village et ses alentours annonce une ère des grands travaux : la construction des usines d’exploitation, un chemin de fer pour éventuellement transporter le minerai, des opportunités d’emploi, de meilleurs soins de santé… Jean Ferdinand Ngoufack témoigne avoir entendu les prospecteurs parler de camps pour loger les employés, d’hôpitaux, d’écoles, de routes … Les vieux fondent leur espoir sur l’apparition d’une main d’œuvre pour la jeunesse locale, laquelle s’est réfugiée en ville depuis plusieurs décennies.
Les experts relativisent cette perception, eux qui pensent que l’investissement sera fonction, non seulement des quantités disponibles, de la teneur en alumine mais surtout du coût sur le marché international. Dschang, ancien chef-lieu de la région Bamiléké situé dans les montagnes, pourra ainsi ne pas voir la voie ferrée projetée depuis la colonisation allemande, parce que de nouvelles techniques permettent le pompage de la bauxite à travers des pipelines en direction de la côte. Pour Etienne Sonkin, ancien maire Sdf de la commune urbaine de cette ville, il y a une fragilité du lobbying autour du projet. « Etant donné que le projet se trouve dans la région du péché originel, le pouvoir actuel ne se dérange pas pour accélérer le processus d’exploitation. Depuis l’indépendance, le pouvoir néocolonial se méfie de ce qui peut profiter à l’Ouest». A ceux qui doutent de ce pessimisme, on rappelle un extrait du discours du Chef de l’Etat, le 31 décembre 2009, retraçant les grands projets miniers. La bauxite de Minim Martap, le fer de Mbalam, etc. Fongo Tongo est absent du menu !
Prospection de tortue
Les rapports sur les recherches de terrain sont confidentiels. « Elles sont conditionnées par la fiabilité des laboratoires sollicités », confie une source proche du dossier. A la délégation des mines de la Menoua, on signale qu’actuellement, des échantillons prélevés ont été envoyés dans des laboratoires spécialisés, pour des études dont le résultat accélérera ou non la mise en exploitation des gisements. Ce sera alors le moment de la recherche des financements et de l’octroi du permis d’exploitation. C’est de 1956 que date le début des recherches, par la Direction des mines et de la géologie, à travers le bureau des mines de la France d’outre-mer (Bumifom). Des indices visuels, sous la forme de couches bauxitiques, avaient été observés dans le village. Les deux années qui suivent sont marquées par une prospection accélérée. On creuse plusieurs puits pour extraire des échantillons mais elle sera stoppée par les troubles de l’indépendance. Il faudra attendre 1980 pour voir les fouilles reprendre, cette fois par le biais de la société Alcan International. Il opère des prélèvements sur 25 puits. Le volume est alors estimé à 32 tonnes, pour une teneur de 49.3% d’alumine. Alors que ce taux est jugé assez intéressant par les ingénieurs en géologie, on n’explique pas sa mise en veilleuse. Il faudra attendre la « politique des grandes ambitions » pour qu’en 2006, un permis de recherche soit donné à la Yekani Mining Company. Quatre ans après, pour des raisons qui nous sont inconnues, c’est Camus Resources S.A., une joint-venture camerouno-australienne, qui mène des travaux sur le terrain. Depuis 2009 et pour un travail qui devrait durer 2 à 3 ans, elle s’attèlera à produire une compilation des travaux sur le site ; des travaux miniers par puits, tranchées et sondages ; une cartographie géologique et minière à l’échelle 1/5000ème, un cubage et une évaluation économique du projet pour préparer des études de faisabilité et d’ingénierie.
Franklin Kamtche

Au-delà de Fongo Tongo
La bauxite est une roche sédimentaire, un minerai renfermant de l’alumine hydratée, plus ou moins mêlée d’oxydes de fer et de silicium, dont on extrait l’aluminium. En attendant leur heure d’exploration, les gisements de Fongo Tongo se rebellent. Et la bauxite se répand. Sur le terrain, il est loisible de constater l’élargissement du champ d’exploration. En plus du groupement Fongo Tongo, où les signes sont vite apparus, ce que le gouvernement, à travers le ministère des mines, appelle aujourd’hui le « permis Bamboutos », couvre désormais une bonne partie du département de la Menoua, à l’instar des groupements Bafou, Foreke, Fossong Wentcheng ou Fokoué mais aussi Alou et Fontem dans le Lebialem (Sud Ouest), Bangang et Babadjou dans les Bamboutos. Soit au total une superficie de 1000km2 pour une quantité estimée à 48,1 tonnes. « Pour maximiser le volume du gisement et éventuellement la qualité, il a fallu aller au-delà du site initial de Fongo Tongo. Signe que la région est riche en ce minerai, un autre permis est en cours d’exploitation dans la zone de Bansoa et Fotouni, entre le Haut Nkam et la Menoua », renseigne le délégué départemental du Minmidt, Fernand Nkamga Siewe.
F.K.

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