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- Rédigé Par MenouActu Suivre @MenouActu
- Mis a jour 18/06/19 à 20:18
Ce digne fils de Bansoa vient de publier à travers les réseaux sociaux un texte intitulé ‘’la peur au ventre " ainsi pour décrire le climat sociopolitique qui prévaut dans cette municipalité de la Menoua.
LA PEUR AU VENTRE
Par le Prof. Charles Soh Tatcha
Sur le chemin du village Bansoa, au poste de contrôle de Bakassa, j’ai reconnu un frère qui, les bras levés, hélait systématiquement toutes les voitures dans la direction de Dschang. Retraité depuis quelques années, il est diabétique, hypertendu, fiévreux et amaigri. L’AVC a paralysé son bras gauche et une partie de son corps. Il traîne une jambe au sol. L’ayant reconnu, je l’ai pris et, chemin faisant, nous parlons de tout et de rien. Il me dit tout le bien que lui fait Radio Bansoa Université (RBU) dont il connaît les programmes par cœur, et me raconte l’histoire de ses trois neveux dont deux ont obtenu leur BTS à l’ISPB, l’autre, sa licence professionnelle en génie civil. Me félicitant, Il est heureux, en joie que deux de ses neveux aient trouvé des emplois à Douala et le troisième est en essai dans une entreprise de BTP à Garoua. Comme il sollicite également les arbres fruitiers de haute qualité produits sur le campus, j’en profite pour l’inviter aux festivités marquant le premier anniversaire de Radio Bansoa Université, festivités au cours desquelles les auditeurs fidèles seront récompensés par la distribution de plants d’arbres fruitiers. Dans cette ambiance bon enfant, nous abordons le virage au carrefour Balessing vers l’arrondissement lorsque je constate qu’il est plutôt nerveux, stressé, agité, mal à l’aise. Puis, au moment d’aborder le dernier virage pour arriver devant l’hôpital de district de Penka Michel, il me supplie de le déposer, il souhaite continuer tout seul, à pied. Surpris, je m’étonne qu’une personne dans un tel état physique insiste pour descendre de la voiture, pour se traîner difficultueusement à pied sur près d’un kilomètre alors qu’elle est déjà presque à destination, et j’insiste pour déposer ce frère devant l’hôpital où il a son rendez-vous médical, d’autant que chemin faisant il m’a expliqué qu’il lui reste trois examens pour lesquels il sollicite mon aide. C’est alors qu’il m’explique, la voix étranglée : « Si on me voit sortir de ta voiture, je suis mort ! Ils vont me tuer ! Ils vont me demander ce que faisait dans la voiture d’un opposant et qu’est-ce que je leur dirai ? Tu sais… depuis que tu es avec Kamto… c’est compliqué. Depuis que tu as fait venir Kamto ici au village… deux fois… nous on souffre… c’est un peu compliqué quand on voit quelqu’un avec toi… Moi, je ne veux pas avoir de problème »… etc.
Eberlué par ces propos, je l’ai déposé en prenant soin de lui donner de quoi payer la moto pour le déposer devant l’hôpital, et j’ai fait le nécessaire pour ses examens médicaux. Il est repassé « discrètement » au campus, vers 20h, il avait une ordonnance.
Autre lieu, autre scène. En octobre dernier, dans le cadre de la campagne pour les élections présidentielles dans la région de l’ouest, nous nous rendons, à sa demande, au palais d’un chef très respecté. L’accueil est chaleureux et nous lui présentons les principales déclinaisons du programme du candidat Kamto. Nous découvrons que ses quatre épouses sont au MRC, tout son entourage est au MRC, ses belles familles, etc. Ce jour-là, devant nous, il réitère à ses sujets d’adhérer tous au MRC et de multiplier les unités. Sanglé dans son uniforme du RDPC tout neuf et cousu dans un style « whatsapp », il partait pourtant participer à un meeting du RDPC où il était l’un des principaux orateurs en faveur de la candidature de Paul Biya. En partant, il nous souhaite bonne chance et nous dit sa certitude que la victoire est là, à notre portée.
De quel bois sommes-nous faits ? Comment pouvons-nous être aussi hypocrites ? Menteurs ? Roublards ? Malhonnêtes ? La peur. De quoi ? En fait, cette peur, nous la suscitons, nous la convoquons, nous l’invitons à nous habiter pour justifier notre incapacité à être nous-mêmes. Quel peuple ! En battant campagne dans les petits recoins de la région de l’ouest, j’ai compris pourquoi on ne nous aime pas. Nous ne nous aimons pas nous-même. La peur de tout et de rien, la peur du vent qui souffle, de la poussière. Voici donc un frère du village, instituteur de l’enseignement primaire à la retraite, dont la pension ne lui est pas payée depuis deux ans. Un homme sans le sous, malade, diabétique, hypertendu, dont les jours sont peut-être comptés, ce n’est le souhait de personne, qui a peur qu’on le voit avec son frère du village que je suis, au motif que je suis un opposant. C’est peine perdue de vouloir le convaincre de se lever pour revendiquer ce qui lui revient de droit, sa pension ! Il est tétanisé par la peur.
Pour survivre, un animal doit dominer sa peur. Trop craintif, il meure de faim. Pas assez, il se fait manger. Le pouvoir tyrannique qui nous gouverne l’a compris : la peur, c’est l’ingrédient magique. Elle génère et fortifie l’inertie. Ne dites rien, ne faites rien, vivez dans la peur, laissez-nous voler tous les sous, tricher, détourner les budgets, voler les élections, etc. Ayez peur ! C’est ainsi qu’on a transformé en indics des frères contre leurs propres frères… Il paraît que c’est un boulot juteux ! Toutes les unités du MRC sont infiltrées par des agents de renseignement, par la police qui recrute à tour de bras des personnes indigentes, matériellement et mentalement pauvres. Je prépare actuellement un ouvrage intitulé Construire la démocratie sur la pauvreté et le tribalisme. Dans cet ouvrage, j’expose clairement comment ceux qui nous gouvernent manipulent diaboliquement les ressorts du repli tribal et de la pauvreté pour faire en sorte que notre démocratie ne soit que de façade. Dans cette entreprise contre le peuple et contre la nation, nous, les élites, jouons un rôle clé. Dans l’espoir d’une ascension personnelle ou d’un strapontin qu’on fait miroiter, les élites sont prêtes à sacrifier toutes leurs familles, leurs communautés, et même leur pays. Et dans cette opération, la peur est un ingrédient majeur que les élites agitent à tout bout de champ dans les meetings, dans les réunions de familles, dans les réunions des élites, etc. L’objectif, faire en sorte que chacun ait peur de tout et de tout le monde. Ces élites, relais dans leurs communautés des mécanismes d’injection de la peur travaillent avec acharnement pour l’injecter partout, y compris dans les testicules des hommes et même dans les vagins de leurs épouses!
Dans son ouvrage intitulé Discours sur le Colonialisme (1950), Aimé Césaire écrit : « Je parle de millions d'hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d'infériorité, le tremblement, l'agenouillement, le désespoir, le larbinisme ». Dans notre propre pays, telle une ombre, la peur rode. Entre le pouvoir et nous il n'y a de place que pour l'intimidation, le tribalisme d’état, le mépris, la méfiance des élites décérébrées, des masses avilies. Aucun contact humain, que des rapports de domination et de soumission.
Aujourd’hui, on nous rappelle à chaque occasion qui nous sommes et d’où nous venons. A des nôtres, ministre de pacotille s’est transformé en bouffon du roi et il publie sur les réseaux sociaux des tribunes d’un sidérante pauvreté mentale et intellectuelle.
Dans L’homme qui creusait, je rappelle de douloureux souvenirs afin que la mémoire de nous autres, les vivants, établisse des passerelles entre ce qui s’est passé du temps de nos parents et grands-parents et ce qui pourrait nous arriver à nous si nous n’y prenons garde. Il n’y a pas bien longtemps, sur le parvis de la mairie de Nkongsamba des camions militaires déversaient pour les exposer des centaines de cadavres, pour instaurer la peur. Les cadavres étant encombrant, on tranchait les têtes au ras de la gorge qu’on exposait au carrefour maquisard à Bafoussam, pour injecter en nous la terreur et la peur. On exposait ainsi les cadavres et les têtes des gens qui avaient osé se lever contre la tyrannie pour notre bien à nous tous, pour le bien commun. « Ceux qui s’obstinent à ne pas voir leur passé s’exposent à le revivre », écrivait l’auteur juif Elie Wisel. Ce qui s’est passé repassera si nous n’avons pas le courage de nous lever pour dire : plus jamais ça ! Nous devons, comme l’écrivait Paul Ricœur « garder traces de nos ratures ».
Aujourd’hui, la méthode est la même. Elle est là, la peur. Tel un nuage radio actif, elle plane à la surface de nos vies. Elle est tapie dans nos oreillers, dans nos draps, dans nos couvertures, dans tous les replis de nos pensées. Nos prisons sont d’abord et avant tout dans nos têtes. Ceux qui distillent la peur l’ont compris, ils ont des objectifs clairs : faire en sorte qu’elle ait raison de toute initiative qui pourrait nuire à l’inertie ambiante. Conséquence, nous fuyons même quand personne ne nous poursuit !
Pourtant, comme on est soulagé de constater lorsqu’on leur rend visite que les militants du MRC arrêtés et embastillés sont plus vivants et plus libres que nous autres qui sommes apparemment en liberté. Pourquoi, parce que la prison, c’est son motif. Ils sont heureux d’être en prison pour nous tous. En réalité, nous sommes tous déjà des prisonniers… depuis au moins 37 ans ! Une prison à ciel ouvert.
Depuis des semaines, des gens m’annoncent mon arrestation imminente. Je leur ai promis que je ne changerai rien à mon programme ni à mes activités. J’attends, je suis serein. Dès lors qu’on a arrêté et embastillé Maurice Kamto, nous avons compris qu’il n’y a plus de limite. Chacun de ses proches collaborateurs est mentalement prêt. Dans tous les cas de figure, je fais partie de ceux qui ont décidé de prendre leurs responsabilités. A l’instard de Kamto, Penda Ekoka, Alain Fogue et des 500 autres, c’est notre combat. Honte à nous si nous léguons cette bataille à nos enfants. C’est à nous d’aller en prison aujourd’hui s’il le faut afin que nos enfants, demain, aient la moindre chance de vivre dans ce pays.
Prof. Charles Soh Tatcha