Kékem: Quand le chef Maya va en guerre contre les vampires

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  • Rédigé Par MenouActu    


Grâce au « cadi » et au « tchetchak », deux rites Bamiléké, un chef Mbo purifie de force une ville cosmopolite.


Jeudi, 20 octobre 2011, il est plus de 16h. Des femmes du quartier Petit Nkam, qu’on croise sur la route de Kékem, une ville de 17 000 habitants dans le Haut Nkam, traînent entre les mains des morceaux de bambou. Elles sont assez sales mais ne se plaignent pas. Dans la cour de la chefferie Maya, en plein cœur de la ville, quelques minutes plus tard, un vieil homme bavarde fort. Il est presque enragé. « Je ne sais pas ce qu’on me veut », dit-il dans un dialecte qui échappe à ses interlocuteurs présumés. Derrière lui, un groupe de 8 hommes d’âges divers l’écoute sans broncher. Parfois, quelqu’un vient lui demander de rentrer et de revenir le lundi. « Demain, à cause des élections (la proclamation des résultats, ndlr), il n’y aura pas de cadi », l’informe-t-on. « Je veux voir le chef », insiste l’homme, en pidgin. Refus des serviteurs. Mais ce dernier sort fortuitement. « Pourquoi retenez-vous ce vieillard ? Demandez qu’il rentre », dit-il. « Il ne veut pas rentrer, Môo. Ekoumam lui a donné nos trois noms pour qu’ils nous tuent. Nous l’avons forcé à boire le cadi», accusent ses interlocuteurs, assis dans un angle de la cour. « Papa, si tu as quelque chose, donne. Sinon ils viendront chercher et ce sera la honte sur toi et ta famille », conseille le chef. « J’ai compris Môo. Je viens lundi ».

Lundi, il n’est pas venu. Obligeant les joujoux à aller l’attraper de force et à ramasser ses « mauvais sacs ». Mardi, 25 octobre, à 13h, assis à même la cour, en compagnie de quatre autres « malfaiteurs », ils ont suivi le réquisitoire des habitants de leurs quartiers, après le dépouillement de leurs dispositifs. D’âge avancé, certains donnent l’impression de ne pas être normal. « C’est de la simulation. Vous allez voir ce qu’ils vont avouer », tranche le chef. Depuis la mi-août, la cour du chef Maya, chef supérieur du groupement Kékem, est devenu un haut lieu de confession et d’exorcisme.

Originaires du coin ou non, les populations sont contraintes de participer à la cérémonie de purification que des experts en voyance, les « tchetchak », organisent à la chefferie. Un groupe d’experts en sciences des ténèbres, que le chef dit avoir testés et recrutés sur la base des attestations produites par ces derniers, sur les prouesses réalisées sous d’autres cieux. Lorsque c’est au tour d’un quartier, les joujoux l’encerclent tôt le matin et empêchent aux gens d’aller au champ. Les populations sont canalisées vers la place de la chefferie. 

Pour participer au rituel, les hommes paient 1000F, les femmes 500F. « Cet argent ne m’appartient pas. Il permet d’entretenir ces gens qui ont abandonné leurs familles pour venir travailler. Regardez-les ! Ils doivent renouveler leurs énergies déchargées par les vampires qu’ils combattent. Ils achètent des chèvres, des poules et divers produits pour les sacrifices », se défend le chef. Assises, sans aucun bijou, les femmes chantent sous contrôle et cognent le sol avec des bâtons qui leur sont vendus, 100F la pièce. Le quartier peut faire ainsi plusieurs jours, de 8h à 16h, selon que les vampires se manifestent vite ou lentement. Dans un grand hangar, chacun jette les écorces qu’il détient. Ceux qui ont honte ou peur sont invités à le faire nuitamment ou au petit matin. Là aussi sont jetés ceux qu’on arrache. Tant pis pour ceux qui dissimulent les maléfices. Le dernier jour, le bâton est retiré. « Ils ont travaillé dessus, observe Evelyne Kameni. Ils m’ont demandé de mettre mon morceau sur le dos puis sur le bas ventre. Ensuite j’ai bu le cadi dans une coquille d’escargot et tapé sur le chien noir », témoigne-t-elle. Les effets ne se font pas trop attendre.

Miracles 

Ingénieur de formation, Janvier Fondong Maya, le chef, dit n’avoir pas cru au départ à l’efficacité de ces rites. « Je suis très satisfait par les résultats. Ils ne fouillent pas avant de retirer les remèdes. C’est comme s’ils étaient là quand on les mettait », se félicite-t-il. Tous les jours, grâce à des motos réquisitionnées pour la cause, les joujoux ratissent les quartiers, et récupèrent les mauvais remèdes. « Ils doivent avoir des informateurs », nuance l’enseignant Guy Marcel Tchamba, qui trouve qu’ils sont trop précis dans leurs prises. « Les gens qu’ils arrêtent sont également ceux qu’on accusait déjà avant de détenir des produits dangereux », apprécie-t-il. « Le cadi ouvre la bouche des gens », tranche son épouse, en désaccord sur ses doutes. Pour coller à la modernité, les cérémonies sont filmées. Chaque coupable est tenu de se confesser et prêter serment, devant la caméra qui tourne, avant d’être admis à boire le cadi, synonyme d’expiation et de pardon. 

Kékem résonne ces jours de petites histoires cocasses, sur des personnages qui jusque-là, tenaient le haut du pavé. Un qui y a laissé de vraies plumes, c’est André Ekoumam, proche du chef parmi les fidèles. Pour avoir été, de longues années durant, son représentant auprès de l’administration et des populations alors qu’il travaillait dans le Sud Ouest, l’homme s’est bâti un leadership au-dessus de la mêlée. Craignant le parti pris du chef, personne n’osait l’affronter. Pas même ces braves « tchetchak » et leurs émissaires, les « massemto », réputés très forts mystiquement, mais qu’il snobait depuis le début des séances d’exorcisme. Jusqu’à cet après-midi fatal, où le chef Maya est parti à la réunion des chefs de l’Ouest qui a débouché sur leur soutien inconditionnel à Paul Biya lors de l’élection du 9 octobre. Ce soir donc, les « massemto » l’ont trouvé à son domicile. L’on apprend aujourd’hui, partout dans la ville, que le « représentant » a négocié fort, pour qu’on n’ouvre pas une porte dans sa maison, laquelle est toujours fermée. Sa fille, aujourd’hui folle et visible dans la ville, le serait devenue, après l’avoir fait. Des découvertes macabres sont faites. Entre autres secrets de galerie, « une pirogue avec laquelle on prend les gens dans l’eau », un pénis artificiel, une calebasse contenant une mixture, des clefs, un sac sans ouverture, … L’homme sera traité à la dimension de sa puissance et de son rang. Entièrement nu, une poule et un coq sur le ventre, il donnera le coup d’envoi de l’abattage des « deux arbres qu’il habitait », à l’entrée du marché. Porte-malheurs des enfants de la

contrée ! Outre les oiseaux qui sortirent du tronc, on trouva un mortier tapissé de morceaux de tissu. « Quand l’arbre tombait, les deux poules mouraient », explique le caméraman, qui croit savoir que « les esprits des enfants ont été libérés ».

Résistances 

Régulièrement, sur la cour de la chefferie comme dans les quartiers, il se produit des « miracles ». « Des révélations troublantes », selon le chef, confirmés par la suite. Marie Ngueta, une ménagère du quartier Nyele, a reconnu disposer d’écorces pour tuer sur commande. S’oignant uniquement d’huile

de boa, elle a été contrainte de laver son mari et tous les enfants de sa coépouse à la chefferie, ainsi que ceux qui y trouvaient un quelconque intérêt. Avant de déménager. Publiquement, une femme a reconnu avoir enterré des produits pour provoquer des transes au lycée local et est allée montrer le trou qu’on a fouillé, soutient-on, en compagnie des autorités. Une autre a confessé avoir pris le cerveau d’un jeune enfant installé récemment dans son voisinage, pour le donner à sa fille, qui ne réussissait pas au probatoire depuis neuf ans. « Elle a eu le brevet et le probatoire du coup », a-t-elle avoué. Au stade municipal, on a déterré « une plante qui siffle à midi ». Chaque année, rapporte-t-on, il fallait sacrifier un enfant lorsqu’une nouvelle branche sortait. « Il a tué beaucoup de gens. Quand tu avais un problème avec lui et que tu l’emmenais au tribunal, au retour il te finissait », indique une voisine de l’infortuné responsable. En précisant que depuis qu’on l’a anéanti, son fils de 5 ans, qui paraissait aliéné, a retrouvé ses sens et marche déjà. Etc.

Depuis deux mois, c’est par vagues entières que les ressortissants de Kékem affluent au village, pour se faire délier par les vampires. On ne donne pas de chiffre mais à la chefferie, on certifie que de nombreux vampires ont fui les ombres. Des fétiches ont été alors apposés sur leurs maisons, concessions ou champs. « Ils ne peuvent pas les réintégrer sans passer par ici », confie le chef. Mais tout en étant un village, Kékem est une ville cosmopolite. « Les Etats Unis de l’Ouest », selon Yampen Ousmanou, un sous-préfet aujourd’hui en service dans la capitale. Ici vivent les ressortissants d epresque toutes les régions du Cameroun, en plus des Maliens, Sénégalais, Gambiens et autres Nigériens, qui font le commerce. Les valeurs culturelles y sont antagoniques ou répulsives.

Aujourd’hui, on assiste à une adhésion plus ou moins forcée des populations. Mais les choses ne sont pas allées facilement. Si le prêtre de la paroisse Saint François Xavier ne s’y est pas opposé, le pasteur de l’Eglise évangélique du Cameroun a comparé ces rites à des pratiques sataniques. Le conflit entre ses fidèles et la chefferie s’est noué au profit de la tradition. « J’ai demandé aux fidèles protestants de ne plus venir aux réunions que nous organisons à la chefferie. Nous travaillons pour le bien de tout le monde. Beaucoup de femmes qu’on attrape ici et qui reconnaissent leurs crimes nocturnes passent leur temps à prier dans cette Eglise », résume Janvier Fondong Maya. Le sous-préfet, David

Dador Dibango, a confirmé avoir autorisé ces rites, qui devraient durer trois mois. Des chefs voisins ont d’ores et déjà pris langue avec Janvier Fondong Maya, pour qu’il accompagne les praticiens chez eux, lorsqu’ils auront terminé.

Franklin Kamtche

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